L’urgence à suspendre un permis de construire est réfragable

Alors qu’il avait à examiner la demande de suspension de l’exécution d’un permis de construire à titre précaire, pour une durée de trois ans, pour l’implantation d’un centre d’hébergement provisoire de cinq bâtiments permettant d’accueillir 200 sans abri, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a rappelé quelle devait être l’appréciation de la condition d’urgence en matière de permis de construire.

Après avoir rappelé sa position traditionnelle en matière de permis de construire selon laquelle « eu égard au caractère difficilement réversible de l’édification d’un bâtiment, la condition d’urgence doit en principe être constatée lorsque les travaux sont sur le point de débuter ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés », le juge des référés souligne que cette présomption est simple, précisant que des circonstances particulières invoquées par le pétitionnaire et l’autorité ayant autorisée la construction litigieuse peuvent « tenir en échec le constat de cette urgence ».

Tel était le cas en l’espèce, le juge estimant que « dans les circonstances particulières de l’espèce invoquées par le préfet de la région Ile de France, eu égard à l’intérêt public qui s’attache au projet autorisé, lequel s’inscrit dans les obligations incombant à l’Etat en vertu du code de l’action sociale, au caractère temporaire et réversible des installations prévues d’où ne résultent, au demeurant, aucune entrave significative à l’utilisation des lieux par les riverains compte tenu des caractéristiques actuelles de l’allée des Fortifications, la condition d’urgence fixée par les dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie » (TA Paris, ord. ; 22 avril 2016, Syndicat de copropriété des immeubles Walter et autres, n° 1604804, 1604901 et Coordination pour la sauvegarde du Bois de Boulogne, n° 1604896/9 et 1604972/9).


Précision des conditions d’indemnisation du manque à gagner résultant d’un refus illégal d’octroi d’un permis de construire

Dans un arrêt du 15 avril 2016, après avoir rappelé que pour être indemnisables, les préjudices invoqués doivent être directs et certains et énoncé que « la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation », le Conseil d’Etat fait évoluer sa notion de préjudice indemnisable.

En effet, il estime que le manque à gagner constitue un préjudice indemnisable si le requérant peut démontrer l’existence de « circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers » (CE, 15 avril 2016, n° 371274).

 


Théorie de la connaissance acquise et introduction d’un recours hiérarchique à l’encontre d’un permis de construire

Après avoir rappelé que la mention relative au droit de recours, qui doit figurer sur le panneau d’affichage du permis de construire en application de l’article A. 424-17 du code de l’urbanisme, permet aux tiers de préserver leurs droits, le Conseil d’Etat énonce que l’exercice par un tiers d’un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu’il a connaissance de cette décision.

Faisant application de la théorie de la connaissance acquise, il en déduit que l’introduction d’un recours hiérarchique à l’encontre d’un permis de construire a pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, quand bien même la publicité concernant ce permis n’aurait pas satisfait aux exigences prévues par l’article A. 424-17 du code de l’urbanisme (CE, 15 avril 2016, n° 384685


Une carte communale peut classer des terrains en zone inconstructible alors même qu’ils étaient auparavant inclus dans les zones urbanisées de la commune

Dans un arrêt du 15 avril 2016, le Conseil d’Etat a en effet estimé qu’il appartient au conseil municipal de déterminer les partis d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par ce document, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir, et de fixer en conséquence le zonage déterminant la constructibilité des terrains.

Par ailleurs, il souligne « qu’aucune disposition législative en vigueur à la date des actes attaqués ne faisait obstacle à ce que puisse être légalement décidé le classement en zone naturelle d’un secteur que les auteurs du document d’urbanisme entendent soustraire, pour l’avenir, à l’urbanisation, sous réserve que l’appréciation à laquelle ils se livrent ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ou ne soit pas entachée d’erreur manifeste » (CE, 15 avril 2016, n° 396696).


Le Conseil d’Etat réaffirme l’existence de la théorie de la domanialité publique virtuelle

Par un considérant de principe, le Conseil d’Etat met à mal les dispositions de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques et réaffirme que « quand une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public ».

Autrement dit, un bien affecté à un service public constitue une dépendance du domaine public si l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine. L’existence d’un aménagement indispensable préalable n’est donc plus nécessaire.

En conséquence, il a estimé que le Tribunal administratif de Montpellier a commis une erreur de droit en estimant que les terrains, objets du litige, n’étaient pas incorporés au domaine public de la commune, sans rechercher s’il résultait de l’ensemble des circonstances de droit et de fait, notamment des travaux dont il avait constaté l’engagement, que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions du service public auquel la commune avait décidé d’affecter ces terrains, pouvait être regardé comme entrepris de façon certaine (CE, 13 avril 2016, n° 391431, Commune de Baillargues).


Assouplissement des conditions de reconnaissance de l’intérêt à agir contre un permis de construire

Dans un arrêt du 13 avril 2016 (CE, 13 avril 2016, M. Bartolomei, n° 389798), le Conseil d’Etat semble donc revenir sur la position extrêmement sévère qu’il adoptait depuis son arrêt du 10 février 2016 à l’encontre du voisin immédiat (CE, 10 février 2016, n° 387507) et pose une présomption d’intérêt à agir à son profit.

En effet, sans remettre en cause sa jurisprudence antérieure en la matière, il précise « qu’eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat a reconnu l’intérêt pour agir du requérant, qui invoquait « être occupant d’un bien immobilier situé à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet » et faisait valoir qu’il subirait nécessairement les conséquences de ce projet, s’agissant de sa vue et de son cadre de vie, ainsi que les troubles occasionnés par les travaux dans la jouissance paisible de son bien.


Possibilité d’invoquer par voie d’exception la méconnaissance de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme au-delà du délai de 6 mois à compter de la délibération adoptant le PLU

Dans un arrêt du 13 avril 2016 (n° 15MA02838), la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé que l’obligation de préciser les objectifs poursuivis par une commune en projetant de réviser son document d’urbanisme et les modalités de concertation avec les habitants et les associations locales ne constitue pas une règle de forme ou de procédure.

Elle en déduit que la méconnaissance des dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme n’entre pas dans le champ d’application de l’article L. 600-1 alinéa 2 du code de l’urbanisme et peut être invoquée par voie d’exception au-delà d’un délai de 6 mois à compter de la publication de la délibération prescrivant la révision du PLU.

Par ailleurs, la Cour rappelle que l’obligation de fixer les objectifs poursuivis par la commune demeurant un élément de la procédure d’adoption du plan local d’urbanisme, la jurisprudence Danthony peut être appliquée.


Précision du contenu du zonage du plan de prévention des risques naturels et prévisibles

Dans un arrêt du 6 avril 2016, le Conseil d’Etat met en lumière le contenu du zonage du plan de prévention des risques considère que :

  • L’objet d’un tel plan est de définir des zones exposées à des risques naturels à l’intérieur desquelles s’appliquent les interdictions, prescriptions et mesures de prévention, protection et sauvegarde qu’ils définissent ;

 

  • Une même zone peut regrouper l’ensemble des secteurs soumis aux mêmes interdictions, prescriptions et mesures, sans qu’il soit nécessaire que les motifs différents qui ont pu conduire à les soumettre à des règles identiques soient identifiables par un zonage différencié.

Par ailleurs, il souligne que l’article L. 561-2 du code de l’environnement a pour objet de déterminer, en fonction de la nature et de l’intensité du risque auquel des terrains sont exposés, les interdictions et prescriptions nécessaires à titre préventif, notamment pour ne pas aggraver le risque pour les vies humaines.

En conséquence, il considère que « que lorsque les terrains sont situés derrière un ouvrage de protection, il appartient à l’autorité compétente de prendre en compte non seulement la protection qu’un tel ouvrage est susceptible d’apporter, eu égard notamment à ses caractéristiques et aux garanties données quant à son entretien, mais aussi le risque spécifique que la présence même de l’ouvrage est susceptible de créer, en cas de sinistre d’une ampleur supérieure à celle pour laquelle il a été dimensionné ou en cas de rupture, dans la mesure où la survenance de tels accidents n’est pas dénuée de toute probabilité » (CE, 6 avril 2016, n° 386000, Ministre de l’écologie, du développement et de l’énergie).


Rappel des limites au pouvoir de police du maire

Dans son ordonnance du 26 août 2016 relative aux arrêtés « anti-burkini », le juge des référés du Conseil d’Etat a rappelé dans quelles conditions un maire pouvait porter atteinte aux libertés individuelles.

Reprenant une jurisprudence constante, le juge des référés énonce que « les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève qu’aucun élément ne permettait de retenir que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes.

Or, en l’absence de tels risques, le maire ne pouvait prendre une mesure interdisant l’accès à la plage et la baignade.

Le Conseil d’Etat a donc suspendu l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet.


Les délibérations du conseil municipal ne sont pas soumises à l’article 4 de la loi du 12 avril 2000

Dans son arrêt du 22 juillet 2016, le Conseil d’Etat rappelle que les délibérations du conseil municipal sont seulement soumises au code général des collectivités territoriales, notamment « aux dispositions spéciales de l’article L. 2121-23 du code général des collectivités territoriales, lesquelles ne sont pas prescrites à peine de nullité de ces délibérations »

Il en tire une série de conséquences :

  • les délibérations d’un conseil municipal doivent être signées par tous les membres du conseil municipal présents lors de la séance.
  • commet une erreur de droit la juridiction qui annule une délibération d’un conseil municipal en se fondant sur les dispositions de la loi du 4 avril 2000.
  • l’absence d’élément établissant qu’une délibération avait été signée par le maire n’est pas de nature à entrainer la nullité de la délibération (CE, 22 juillet 2016, Mme D. E., n° 389056).